Interview de Kader Belarbi

 

Dans le cadre de la tournée du Ballet du Capitole au Liceu de Barcelone fin 2021-début 2022, nous consacrons plusieurs entretiens à 3 personnalités du Ballet.

Nous commençons avec un grand entretien avec Kader Belarbi, Danseur Etoile de l’Opéra national de Paris, Chorégraphe, Directeur de la Danse du Théâtre du Capitole.

 

Kader, vous êtes Directeur de la Danse du Ballet du Capitole, pourriez-vous nous présenter votre parcours artistique de danseur puis de chorégraphe ?

Je suis au service de la danse depuis une quarantaine d’années en tant que danseur, chorégraphe et directeur de Ballet. L'art chorégraphique, pour vivre de sa contemporanéité, doit avoir la reconnaissance de son histoire. Il ne peut y avoir de présent sans la considération, la culture, et la maîtrise de ce qui nous a précédés.

J'ai dansé le vaste éventail du répertoire de l’Opéra national de Paris pendant presque trente années et je reste un familier de la danse contemporaine avec de multiples expériences hors les murs de cette grande maison. En tant que danseur Etoile de l’Opéra national de Paris, j’ai été associé à de nombreuses créations mondiales signées par des chorégraphes majeurs et d’esthétiques différentes comme Serge Lifar, Roland Petit, Rudolf Noureev, John Neumeier, George Balanchine, Jerome Robbins, Maurice Béjart, Maguy Marin, Dominique Bagouet, Saburo Teshigawara, Jiří Kylián, William Forsythe, Mats Ek ou Pina Bausch. Ma longue expérience de danseur m'a permis de maîtriser l’exercice traditionnel d'une formation académique, colonne vertébrale et véhicule d’une technique indispensable. Aujourd’hui l’apprentissage des techniques de danse a bien évolué : la formation d’un danseur classique n’est plus prisonnière d’un seul style, et elle lui permet d’aborder la diversité des esthétiques et des univers des chorégraphes. Mon travail de chorégraphe est nourri de la culture du danseur et d'une curiosité personnelle.

J’ai créé une quarantaine de pièces chorégraphiques et de ballets, notamment pour le Ballet de l'Opéra de Paris, le Ballet du Rhin, les Grands Ballets Canadiens de Montréal, le Ballet du Grand Théâtre de Genève ou encore le Ballet National de Chine.
La diversité des écritures chorégraphique est passionnante : j’ai ainsi créé autant des pièces contemporaines que revisité les grandes œuvres du répertoire classique, dont je n’hésite pas à redéfinir les articulations dramatiques, à remodeler les partitions musicales, tout en respectant la tradition académique. Le patrimoine chorégraphique classique est fondamental afin que des esthétiques qui ont fait référence continuent à être transmises, interprétées et revisitées, sans être figées. Le patrimoine chorégraphique classique est le fil d'Ariane de l'histoire de la danse française, et il continuera longtemps à former et inspirer les générations à venir. Dans un dialogue vivifiant, le répertoire ressurgit comme une mémoire vivante alors même que s'impose la dynamique de la création. Cette démarche artistique caractérise souvent mes créations. J'ai chorégraphié ainsi ma propre version de grands ballets comme Giselle, Don Quichotte, Casse-Noisette ou Le Corsaire... J'ai par ailleurs créé des ballets originaux comme La Bête et La Belle sur des oeuvres de György Ligeti, La Reine Morte sur des oeuvres de Tchaïkovski. J'ai également travaillé avec des compositeurs comme Philippe Hersant pour Hurlevent, Sergio Tomassi pour Les Saltimbanques et récemment Bruno Coulais pour Toulouse-Lautrec dont la création a eu lieu en octobre dernier.

Mon activité de chorégraphe est liée également à celle de directeur du Ballet du Capitole. Je ne réserve pas le Ballet du Capitole à mes seules chorégraphies. L'une des missions que je poursuis de saison en saison se situe dans la permanence d’un répertoire français entre reprises et créations : le Ballet du Capitole s'en est doté avec l'inscription depuis 8 saisons de grands noms de chorégraphes (Serge Lifar, Maurice Béjart, Roland Petit, Rudolf Noureev, Francine Lancelot, Maguy Marin, Catherine Berbessou, Thierry Malandain, Carolyn Carlson, Angelin Preljocaj, Michel Kelemenis...). Je crois au positionnement non contradictoire de la confrontation entre langage classique, néo-classique et contemporain qui conduit à la notion de répertoire donc de patrimoine. Aujourd'hui, le Ballet du Capitole est l'une des dernières grandes compagnies en France ayant la capacité de défendre la diversité des écritures chorégraphiques.

La Danse doit entretenir cet échange tonique entre l’héritage fertile du répertoire et la dynamique de la création. Aujourd’hui, les nouvelles technologies offrent des voies d’expérimentations, et la danse s'affirme plus que jamais comme un art transdisciplinaire. Je porte particulièrement attention à une collaboration que je souhaite toujours étroite avec d'autres artistes en convoquant compositeurs, plasticiens, écrivains, metteurs en scène, costumiers... Le langage de la danse se frotte et ne peut s’enrichir qu’avec d’autres langages artistiques.Tradition et modernité résument la vocation du Ballet du Capitole, avec l’ambition d’offrir de saison en saison le reflet d’un ballet vivant, en phase avec son temps, ouvert à tous.

 

Le Ballet du Capitole est aujourd’hui l’une des principales compagnies permanentes en France, quelles sont les clés de cette réussite selon vous ?

Créé il y a plus de trois siècles en même temps que le Théâtre du Capitole, le Ballet du Capitole est aujourd’hui l’une des trois grandes compagnies de danse classique française en région. Le Ballet du Capitole compte 35 danseurs permanents, et une équipe d’encadrement de 8 personnes. Le Ballet du Capitole est partie intégrante d’une maison d’Opéra et s'appuie sur l'ensemble des services techniques et administratifs du Théâtre ainsi que, pour certaines productions, sur l'Orchestre national du Capitole. Il s’inscrit dans le projet artistique du Théâtre du Capitole, notamment en termes de diversification des répertoires, d'élargissement des publics, de rayonnement international et d’inscription sur le territoire.

Depuis mon arrivée à la tête du Ballet du Capitole, en septembre 2012, l’une de mes missions fondamentales a donc été de commencer à constituer de manière réfléchie un répertoire riche et diversifié. C'est sur la base de ce travail de fondation que le Ballet peut aujourd'hui aspirer à s'imposer comme une compagnie ouverte aux propositions de nombreux chorégraphes et devenir un outil au service de la diversité des langages chorégraphiques et de la création. Mes programmations de saison sont une affirmation de choix artistiques qui font dialogue des arts, des époques et des styles pour que le Ballet du Capitole soit un Ballet « vivant d’aujourd’hui ».

Mon projet artistique se poursuit avec la médiation culturelle sur le territoire toulousain. Tout au long de la saison, je propose des rencontres et des rendez-vous réguliers qui offrent une nouvelle façon d’aborder les œuvres, de connaître la danse et d'enrichir l’expérience du spectateur. En parallèle, nous avons avec Antoine de Froberville, chargé de la diffusion du Ballet du Capitole, entamé un travail qui développe des relations professionnelles avec des lieux de diffusion et des diffuseurs sur le plan régional, national et international. Le Ballet du Capitole a donc renoué avec les tournées, en région, en France et en Europe. Nous sommes au travail pour des perspectives de tournées à l’international comme réalisées précédemment en Chine et au Brésil et aujourd’hui en pourparlers pour la Grèce, Israël et à nouveau en Asie (Chine et Japon).

C’est avec un esprit de conquête et un travail d’artiste que j’impulse depuis bientôt dix saisons un élan au Ballet du Capitole en persévérant sur le répertoire et la création, en mettant en valeur les programmations et les actions culturelles dans une communication et un partage autour de l’accueil et de la diffusion pour ainsi renouveler, fédérer et fidéliser un large public et construire une nouvelle identité rayonnante du Ballet du Capitole.

 

Après le succès de Toulouse-Lautrec en octobre dernier, le Ballet du Capitole est programmé dans le prestigieux Théâtre du Liceu de Barcelone : qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

La mission fondamentale d’un Ballet se situe entre le maintien de son répertoire, de nouvelles entrées au répertoire d’œuvres existantes et de nouvelles créations. La mise en jeu de tout ce répertoire programmé à Toulouse et en tournées constitue la qualité artistique d’un propre répertoire, d’une identité et l’image du Ballet du Capitole.

En premier lieu, la diffusion du Ballet dans la région Occitanie semble le socle indispensable du rayonnement du Ballet. Le Ballet doit devenir un acteur incontournable des programmations culturelles en région, une fierté pour Toulouse et l’Occitanie. L’étendue du répertoire, la mobilité, la capacité d’aller à la rencontre de tous les publics font partie de l’identité du Ballet du Capitole, et le travail de diffusion en Région permet de la forger. Nous avons par exemple, une relation suivie avec la scène nationale d’Albi qui a programmé Giselle dans l’une de ces récentes saisons dans le cadre d’une première étape et nous avons mis en place par la suite une co-production sur la création de Toulouse-Lautrec programmée en octobre dernier au Théâtre du Capitole et qui sera jouée les 28 et 29 septembre 2022. Ce partenariat permet de construire une relation de fidélité et d’échanges entre le Ballet du Capitole, la scène nationale d’Albi et le public albigeois.

Autre exemple, la proximité de l’Espagne permet de faire rayonner le Ballet sur une grande partie de son territoire et de programmer le Ballet du Capitole dans des lieux particulièrement prestigieux, comme le Festival de Péralada et le Festival de Grenade.

Une série de 6 représentations de Casse-Noisette au Liceu de Barcelone, où le Ballet du Capitole est l’invité pour la programmation des fêtes de fin d’année est le signe d’une confiance et d’une fidélité de nos partenaires. J’ai pu à l’occasion de voyages récents constater la réputation du Ballet du Capitole qui le précède, l’intérêt qu’il suscite aujourd’hui à l’international et les offres de tournée qu’il permet d’envisager. Cette réputation grandissante est confirmée également par les chorégraphes, les maîtres de ballet, les répétiteurs et autres intervenants extérieurs invités au Ballet.

Fort de ce travail et de ces perspectives, les tournées deviennent un outil incontournable pour permettre à une compagnie unique en France comme le Ballet du Capitole de devenir un ambassadeur de l’identité et de la vitalité culturelles toulousaines et d’une tradition française. La venue du Ballet du Capitole dans le mythique Liceu de Barcelone est une nouvelle page qui s’écrit et une première historique.

 

Après cette tournée catalane, quels sont les grands projets de rayonnement à venir de la compagnie (tournées, audiovisuel…) ?

Diffusion

Casse-Noisette par le Ballet du Capitole (création décembre 2017) a été diffusé sur Mezzo Live HD durant le mois de décembre 2021.
Les Saltimbanques une création de juin dernier a été mise en ligne sur le site Arte Concert à partir du 22 décembre 2021. Aussi disponible, dans sa version intégrale, depuis début décembre sur tous les vols Air France. Les Saltimbanques a été également vendu à Stingray, chaîne de programmes lyriques et chorégraphiques qui le diffusera prochainement sur son bouquet dans le monde entier.
Quant à Toulouse-Lautrec, le ballet sera diffusé prochainement par Culture Box, France 3 Occitanie, Mezzo, TV5Monde et de nouveau Stingray.

Calendrier

À nos Amours Programme du dimanche 23 janvier 2022 avec Ballet de l’Opéra de Lyon - Ballet du Capitole - Malandain Ballet Biarritz - CCN • Ballet de l’Opéra national du Rhin - Ballet national de Marseille. Les Ballets européens au XXIe siècle se réunissent à la Filature de Mulhouse durant trois soirées consacrées à la danse dans sa diversité autour de trois programmes composites et complémentaires qui réunissent onze ballets et convoquent plusieurs stars de la chorégraphie contemporaine pour une traversée d’univers créatifs, riches et diversifiés. 
Toiles Etoiles Théâtre du Capitole, trois créations de chorégraphes espagnols d’après trois rideaux d’avant-scène de Pablo Picasso du 15 au 20 février 2022
Platée Théâtre du Capitole du 19 mars au 24 mars 2022, création d’un opéra/ballet en compagnie de Hervé Niquet, Shirley et Dino et ma participation en tant que chorégraphe.
À nos Amours Tournées : Castres, les 17 et 18 mars 2022 et Muret, le 24 mars 2022 avec les Etoiles et les Solistes
Giselle Tournées : Béziers, les 07 et 08 avril 2022 – Bezons, les 13, 14 et 15 avril 2022 - Saint-Quentin, le 21 avril 2022
Platée en tournée à Versailles les 18, 20, 21 et 22 mai 2022
Daphnis et Chloé Halle aux grains, création les 26, 28, 29 et 30 juin 2022
Giselle aux Chorégies d’Orange le 18 juillet

 

L’Association Aïda s’est engagée depuis 3 ans auprès du Ballet du Capitole, comment définiriez-vous cette relation ?

À Toulouse, l’Association Aïda a très bien saisi les enjeux et réalise un travail formidable avec l’Orchestre et le Théâtre du Capitole. Dans ce contexte difficile lié à la pandémie, traversant les épreuves rencontrées, notamment celles des reports successifs, le partenariat avec la Banque Courtois et le groupe Safran initié par Aïda a été exemplaire pour la création du ballet Toulouse-Lautrec. Là aussi, une nouvelle page s’écrit.

L’Association Aïda se met aujourd’hui à l’écoute des préoccupations des artistes de la danse en les épaulant fidèlement et sur le long cours, du studio au plateau. Elle soutient des écritures originales, de la conception à des formes inattendues. Autant d’enjeux essentiels qui guident son action et montre son attachement à la diffusion de spectacles des arts vivants et permet la réalisation de projets culturels innovants d’aujourd’hui.

Choisir le Ballet du Capitole comme on choisirait un artiste ! C’est dans cette lignée que je propose la rencontre, les spectacles et les projets qui convoquent un mouvement.

En danse, il faut réinventer l’art d’être ensemble afin de partager la même passion pour l’art, ses aventures et ses aventuriers. Cette fois dans le sillage d’un chorégraphe et d’un Ballet, les mécènes investissent la danse. Faire découvrir une œuvre et ses artistes est l’essence même de la fonction de médiateur, celle du mécène. Le sel des rencontres avec des personnalités d’artistes et des personnes dans l'entreprise sont une stimulation permanente. Accompagner une aventure et construire une histoire ensemble, devient une aventure partagée. La qualité de la sincérité et de l’attention de l’engagement, c’est ce qui métamorphose la vie afin de défendre ce que l’on a choisi de défendre.

Par ses richesses, sa diversité et son dynamisme, le Ballet du Capitole souhaite partager la passion pour le mouvement et la valeur inestimable de moments rares et éphémères.

Grâce à des perspectives de programmes sur le temps, l’association Aïda permet la fidélité et la générosité qui sont une démarche indispensable pour une relation durable.

 

Quel regard portez-vous sur le mécénat d’entreprises ?

Une aventure artistique est souvent un voyage dont on ne connaît pas la destination à l’avance. L’aventure, c’est être capable de prendre des chemins de traverse sans être toutefois déraisonnable. Heureusement, ces aventures se construisent et se vivent avec ceux qui l’accompagnent : le mécène, l’entreprise. L’engagement se fait dans un dialogue constructif, permettant une collaboration souple, modulable, s’adaptant aux réalités spécifiques des uns et des autres. Le bon partenariat est celui qui instaure un parfait équilibre dans les projets entre un état d’attention de la part de l’artiste et de non-intrusion de la part du partenaire : confiance et respect mutuels permettent cette rencontre et cet équilibre. Quand le doute s’installe ou que les difficultés, inévitables, arrivent, ils permettent de franchir les obstacles et d’aller jusqu’au bout dans des aventures pleinement partagées.

Le mécène ouvre ainsi un champ des possibles pour la création, en investissant dans des productions plus ambitieuses et innovantes, en aidant à la réalisation d’un spectacle, en accompagnant la diffusion d’un projet, en soutenant de jeunes artistes. Il élargit le rayon d’action de l’artiste : dans le cas de la danse, en mettant en valeur celle-ci par des manifestations, en contribuant aux projets d’expositions et d’éditions, en soutenant des programmes pédagogiques, en favorisant l’accès de la danse à tous… Grâce à des perspectives de projets culturels, des liens se tissent et une démarche s’inscrit. Une relation évolutive et durable se construit au fur et à mesure entre l’univers d’un Ballet et le monde de l’entreprise. Simple constat, sans le mécénat, l’art serait plus modeste et résonnerait moins fort.

 

Comment envisagez-vous dans le futur la relation entre le Ballet du Capitole et ses mécènes ?

En tant que directeur du Ballet du Capitole, mes missions sont nombreuses : l’établissement d’un répertoire et la défense d’une identité artistique, accompagner les danseurs dans leur évolution, la programmation et la médiation culturelle, développer et transmettre une culture chorégraphique, la fidélisation du public et le rayonnement du Ballet... Ces missions se bâtissent comme un leadership avec les équipes qu’il faut entraîner, inspirer et stimuler. C’est donc un vaste projet, ambitieux qui est le résultat d’une fédération d’énergies. On l’aura compris : comme une entreprise, un ballet est une aventure humaine, et sa richesse est celle des hommes qui la font vivre, avec leurs talents, leurs personnalités et leurs rêves.
Entraîneur de cette excellence artistique du studio à la scène, nous formons tous ensemble une équipe artistique et technique de culture, de compétence et de valeur. Et effectivement, les valeurs que la danse incarne ne me semblent pas très différentes de celles d’une entreprise : l’excellence, l’exigence, la transmission, la solidarité, la fidélité, la spontanéité, le dynamisme, la précision, la virtuosité, la générosité, la création, la recherche, l’innovation, le rayonnement, l’ouverture aux autres, l’accès pour tous...

Parfois la réalité est celle des changements, des évolutions, de l’imprévu et de l’inattendu : les péripéties de l’entreprise comme celles d’un projet artistique supposent de savoir composer avec ces réalités pour continuer les missions de chacun. Par expérience, au-delà des performances, il est souvent question d’une alchimie dans une fusion créative et lumineuse d’une communauté de personnalités qui partagent la valeur inestimable de moments rares et la même passion pour le mouvement de la vie.

Le contact avec l’art est loin d’être une activité « non-essentielle » et surtout en ces temps de crise, indispensable pour notre bien-être. C’est pour cela qu’aujourd’hui, nous avons encore plus besoin de favoriser la synergie, les coopérations artistiques entre les cultures. Les expérimentations et le développement de propositions innovantes émergent pour la création et la diffusion de la danse. Il apparaît une sorte de métissage des arts, des technologies et des cultures : ces formes hybrides sont passionnantes et réjouissantes. Le Ballet du Capitole s’engage dans la préservation du patrimoine par l’édition, favorise l’innovation et la création et assure la diffusion de l’art chorégraphique pour un accès tout public. La culture est une source d’accomplissement et du bonheur de vivre ensemble : affirmons que dans cet esprit d’adaptation, les rencontres seront inspirantes et créatrices de nouvelles énergies. L’avenir du Ballet du Capitole, c’est le mouvement et bouger autrement.

 

En février 2022 la soirée Toiles Étoiles sera programmée au Théâtre du Capitole, pourriez-vous nous en dire quelques mots ?

En premier lieu, j’aimerais rappeler que la chorégraphie est la représentation de gestes, de lignes et de figures par un corps qui les dessine. Les notions techniques de la peinture s’appliquent à la danse. La composition, les formes, les couleurs, les tons, les valeurs, les nuances et les contrastes sont les mêmes mots et outils qu’un chorégraphe ou un peintre utilisent dans leur démarche créatrice. Il existe donc bien une équivalence entre le langage chorégraphique et le langage pictural.

Picasso a été un homme curieux de toutes les techniques, de toutes les disciplines artistiques. Il ne pouvait rester étranger à la scène et à la décoration théâtrale. Il a investi l’espace scénique pour mettre son sens des couleurs et son inventivité formelle au service de la création d’un rideau ou d’un costume, pour accorder sa sensibilité à un texte, une musique ou une chorégraphie. Il a renouvelé l’apparence tout en respectant l’esprit, avec des interprétations différentes ou des visions nouvelles. Picasso a créé bon nombre de décors et de costumes qui ont marqué l’histoire du ballet. La diversité de ses réalisations témoigne du rapport très fort qu’il entretenait avec la Danse. Autour de 1915, Picasso se rapproche de Jean Cocteau, fervent admirateur des Ballets russes de Diaghilev, qui anime ce qui reste de la vie parisienne en cette époque de guerre. En février 1917, il part avec Cocteau à Rome où la troupe travaille à Parade et s’éprend d’une des danseuses russes de la compagnie, Olga Khokhlova (1891-1955), qu’il épousera en 1918 et qui lui donnera un fils, Paul. Cette histoire d’amour accompagnera la collaboration intense de Picasso avec Diaghilev et sa célèbre troupe.

Je souhaitais faire voisiner des chorégraphes aux signatures chorégraphiques différentes, autour des trois rideaux de scène de Picasso et de trois célèbres ballets. Chacun a choisi un rideau d’avant-scène à partir duquel il a souhaité́ œuvrer : Cuadro flamenco (1921), Train bleu (1924) et L’Après-midi d’un faune (1965).

Le ballet Cuadro Flamenco a été créé en 1921 au Théâtre de la Gaîté par les ballets russes de Diaghilev. Il s’agit d’une suite de danses andalouses avec musiques et chorégraphies traditionnelles. Pour le décor, Picasso a repris un projet non utilisé qu’il avait réalisé pour Pulcinella et a accepté d'adapter sa première décoration représentant l'intérieur d'un théâtre du XIXe siècle en rouge, or et noir. Le ballet sera créé sous les rythmes et la flamme espagnole de la danse flamenco par le grand danseur et chorégraphe Antonio Najarro. La musique sera spécialement composée pour ce ballet par le célèbre compositeur et guitariste flamenco José Luis Montón. Le ballet sera interprété en direct par quatre musiciens : guitariste flamenco, violoniste, percussionniste flamenco et chanteuse flamenca. La chanteuse María Mezcle donnera sa voix à cette musique. Le chorégraphe cherche à immerger le spectateur dans un véritable Tablao flamenco pour donner à voir les différentes cadences de la danse flamenca interprétée par des danseurs classiques.

Le ballet L’Après-midi d’un faune a été créé au Théâtre du Châtelet à Paris en 1912 par le chorégraphe Vaslaw Nijnsky et par les ballets russes de Diaghilev sur la musique du Prélude à l’Après-midi d’un faune de Claude Debussy, décors et costumes de Léon Bakst. Révolutionnaire de par son sujet et son vocabulaire chorégraphique : un faune s’éveille, épie et poursuit des nymphes venues se baigner. Effrayées, elles s’enfuient, abandonnant l’un de leurs voiles dont il s’empare et sur lequel il s’étend dans une étreinte orgasmique. Ce ballet fera scandale. Le directeur du Figaro, Gaston Calmette, en dénoncera l'« impudeur », tandis qu'Auguste Rodin prendra la plume pour en défendre la modernité.                                                                                 Le rideau de scène de L’Après-midi d’un faune dédicacé à Serge Lifar a été présenté au Théâtre du Capitole les 21 et 22 juin 1965 dans le cadre du Festival “Messidor 65“ en ouverture de la manifestation organisée en l’hommage de Picasso, Picasso et le Théâtre. Au musée des Augustins. Georges Auric, directeur de l’Opéra de Paris avait refusé le rideau d’avant-scène parce qu’il le trouvait trop humoresque et ne correspondant pas à la dignité d’un théâtre national de la 5ème république. Cette même année 1965, Picasso confie un autre rideau d’avant-scène « La dépouille du Minotaure en costume d’arlequin » dit Le Rideau de scène pour “ Le Quatorze-Juillet” au musée des Augustins de Toulouse pour l’exposition “Picasso et le théâtre” organisée par Denis Milhaud ; il l’offre au musée à l’issue de la manifestation. Elle représente le Minotaure mort, en habit d’arlequin, soutenu par un géant ailé à tête d’aigle. Un homme puissant et barbu, affublé d’une peau de cheval, s’avance en menaçant le monstre de son poing droit dressé ; il porte sur ses épaules un bel adolescent couronné de fleurs qui, de ses bras écartés, semble arrêter le couple mythique. Il enrichit aujourd’hui les collections du musée des Abattoirs. Le souffle embrasé des chorégraphes Honji Wang et Sébastien Ramirez soulèvera la toile jusqu’à devenir un voile. La combinaison de leurs langages chorégraphiques est une fusion de hip hop expérimental avec des influences d’arts martiaux et de danse classique et d’un travail aérien et l’utilisation du gréage chorégraphique. Les deux chorégraphes souhaitent nous imprégner de la force poétique et symboliste du poème éponyme de Mallarmé. En prenant appui sur les représentations de Pablo Picasso et de Claude Debussy, nourris de l’empreinte chorégraphique et esthétique qui les caractérise, leur Après-midi d’un faune donnera corps et matières à l’évocation des désirs et des rêves de cette brûlante après-midi.

Le ballet Le Train bleu a été créé en 1924 par les ballets russes de Diaghilev au Théâtre des Champs-Elysées sur un livret de Jean Cocteau, une musique de Darius Milhaud, un décor d’Henri Laurens, et des costumes de Gabrielle Chanel, une chorégraphie de Bronislava Nijinska et un rideau d’avant-scène par Pablo Picasso. L’œuvre est une parodie burlesque de la nouvelle société moderne de 1920. Cocteau rapporte : « J’eus l’idée en regardant le monde à la mode qui vit la vie au lieu de vivre d’après la vie, comme nous. La beauté aveuglante, décourageante de la mode, des jazz, des dancings, des réclames lumineuses, du music-hall, […] nous essayons plutôt d’en faire le portrait, d’en dégager le style et de réussir, non point une œuvre frivole mais une sorte de statue de la frivolité. » Sous la conduite et le geste contemporain du chorégraphe, Cayetano Soto nous transportera dans un voyage à la destination inattendue. La voix du peintre Pablo Picasso avec son incroyable accent espagnol embrassera la scène aux côtés des Suites pour piano de Haendel interprétées par l’unique Dina Ugorskaïa. La démarche de création du chorégraphe est envisagée dans une nouvelle perspective qui reflète notre époque afin de partager un voyage inspiré fait de passion et de découverte.

Les rideaux de scène de Picasso sont re-présentés et remis en jeu par le geste et le regard de chorégraphes d’aujourd’hui.

Une promesse d’étoiles parmi les toiles !

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Un immense merci à Kader Belarbi pour ce riche moment d'échange !

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Opéra
19
janvier
2022