Interview d'Antoine de Froberville

 

Dans le cadre de la tournée du Ballet du Capitole au Liceu de Barcelone fin 2021-début 2022, nous consacrons plusieurs entretiens à 3 personnalités du Ballet. Nous poursuivons ces échanges avec Antoine de Froberville, Responsable de diffusion et des tournées du Ballet du Capitole.

 

Antoine, vous êtes le Responsable de diffusion du Ballet du Capitole, en quoi consiste cette fonction ?

Je m’occupe des tournées du Ballet du Capitole, c’est-à-dire de son activité et de sa programmation en dehors de Toulouse. Il s’agit de promouvoir le Ballet du Capitole et de le proposer à des salles de spectacles et de concerts : maison d’opéras, scènes nationales, théâtres de ville… en France bien sûr, mais également à l’international. Pour la France, qui dispose d’un réseau de scènes et de théâtres très dense, c’est un travail qui se construit au fil des ans en tissant des relations de fidélité avec les programmateurs et les directeurs. Il faut pour cela d’abord provoquer leur intérêt en les informant de notre actualité, de notre répertoire, et en les invitant à venir voir nos spectacles à Toulouse ou en tournée.. Pour l’international, je travaille en direct avec certaines structures ou en relation étroite avec des agents locaux, comme c’est le cas avec Rial & Eshelman en Espagne par exemple. 
 

Quels sont les éléments qui expliquent selon vous l’attractivité et le rayonnement du Ballet ? 

La concurrence est très rude, et l’offre de spectacles en tournée est pléthorique : la qualité, que ce soit celle du répertoire comme celle des danseurs, est donc primordiale et Kader Belarbi en est le garant. Toulouse dispose avec le Ballet du Capitole d’un ensemble d’une valeur artistique exceptionnelle, d’autant plus rare qu’il est un des derniers ballets de maison d’opéra en France. La ligne artistique que défend Kader Belarbi depuis bientôt 10 ans porte ses fruits : le Ballet du Capitole est un ballet vivant d’aujourd’hui, c’est-à-dire un ballet capable de défendre l’héritage de la danse classique et les œuvres du grand répertoire mais aussi d’ouvrir ses portes à des jeunes chorégraphes contemporains. Le Ballet du Capitole est ainsi un lieu de transmission et un lieu de création. Cette double identité est celle que nous défendons en tournée et elle intéresse les programmateurs.

Mais l’aspect artistique n’est pas le seul critère. La question économique est devenue cruciale : il faut maîtriser les coûts et les dépenses pour que chaque partie s’y retrouve. D’autre part, les conditions qui entourent la préparation et le montage d’un spectacle en tournée sont très différentes de celles d’un spectacle programmé «à la maison »-  au Capitole ou à la Halle aux Grains. Chaque théâtre est unique, avec ses spécificités, et il faut donc adapter techniquement le spectacle proposé au lieu qui l’accueille, et cela dans un temps réduit. Les ballets de maisons d’opéra ont souvent la réputation d’être des structures lourdes, onéreuses, réservées aux grandes scènes. Depuis plusieurs saisons, nous démontrons le contraire, et avec le travail de toutes les équipes, le Ballet du Capitole s’affirme comme une compagnie de tournée, capable de se produire à Paris au Théâtre des Champs-Elysées comme à Castelsarrasin ou à Castres, sur des petites scènes. Nous ne proposons évidemment pas les mêmes spectacles, mais nous défendons toujours l’excellence. Nous sommes fiers de porter cette excellence dans une grande diversité de lieu, grâce aux équipes artistiques et techniques, et cela fait partie de l’identité et de l’attractivité du Ballet du Capitole.  

 

Le Ballet du Capitole tourne de plus en plus en France comme à l’international, comment se programme une tournée ?


D’abord en cohérence avec la programmation artistique. Une fois que la saison toulousaine est posée, je peux avoir une visibilité sur les périodes disponibles pour les tournées, et nous pouvons sélectionner les programmes que nous proposerons. Tout spectacle demande un temps conséquent de préparation et de répétitions pour les danseurs : on ne peut donc pas multiplier les propositions de programme en tournée qui obligeraient à multiplier également les semaines de répétitions en studio en amont, au détriment de la présence sur scène. Avec Kader Belarbi, nous choisissons quels sont les spectacles à proposer en fonction de plusieurs critères : l’activité du Ballet et des danseurs sur la saison, la mobilité du programme, son impact etc.
La plupart des théâtres en France font leur programmation un an à l’avance. Les maisons d’opéra travaillent, elles, au moins deux ans à l’avance. On monte une tournée en trouvant plusieurs théâtres qui programmeront le même spectacle sur une période donnée. Cela permet notamment de mutualiser les répétitions et les coûts entre les théâtres.
Dans le cas de la programmation de Casse-Noisette au Liceu, je parle plus d’accueil que de tournée : nous sommes invités pour assurer la programmation dans un des plus grands opéras d’Europe à une période cruciale, celle des fêtes de fin d’année. C’est un enjeu important qui justifie que nous nous absentions de Toulouse à une période où le ballet tient traditionnellement l’affiche au Capitole, et nous y travaillons depuis trois ans.

 

Kader Belarbi est l’un des chorégraphes les plus en vue de notre époque, comment cela se traduit-il dans vos contacts avec les structures de programmation et les médias ?

Le travail de chorégraphe de Kader Belarbi présente plusieurs aspects. Il fait un travail remarquable en proposant des nouvelles versions de grandes œuvres du répertoire, comme Giselle, Don Quichotte ou Casse-Noisette. Il réussit à respecter la lettre et l’esprit de ce répertoire, tout en lui insufflant vigueur, fraîcheur, modernité.  Ses versions ne ressemblent à aucune autre : une seule image de Giselle ou de Casse-Noisette permet de dire « ah, c’est la version Kader Belarbi !», ce qui est loin d’être le cas de nombreuses reprises du répertoire par d’autres chorégraphes. Kader Belarbi imprime donc sa marque sur ce répertoire et lui donne une identité, une signature : nous sommes aux frontières de la tradition et de la création, ce qui intéresse beaucoup les programmateurs qui ont pour mission de soutenir la création. J’en veux pour preuve la programmation de Giselle au Théâtre Paul Eluard à Bezons en région parisienne, pour trois soirs consécutifs en avril prochain. Ce théâtre est une scène conventionnée danse : un label du ministère de la culture donné à des structures dévolues au contemporain et généralement réticentes à programmer de la danse classique et du ballet. Le directeur du théâtre est très enthousiaste, et c’est aussi une reconnaissance du travail que nous effectuons : la personnalité de Kader fait bouger les lignes.
 Ensuite, Kader n’hésite pas à retravailler la dramaturgie, les personnages, il aime raconter des histoires : ce souci de la dramaturgie le distingue de la plupart des chorégraphes actuels. De fait, Kader crée aussi de grands ballets narratifs, comme La Reine morte, Les Saltimbanques ou Toulouse-Lautrec. Ce sont des œuvres qui rencontrent un succès public et critique, et qui prouvent qu’on peut créer des grands ballets aujourd’hui qui soient des œuvres populaires, qui s’adressent à tous les publics, sans sacrifier ni l’exigence, ni la qualité. Très peu de chorégraphes font ce travail : il ne s’agit ni plus ni moins que de créer un nouveau répertoire, et d’ inviter les programmateurs comme les spectateurs à prendre le risque de découvrir un ballet autrement que dans les sempiternels Lac des Cygnes et Belle au bois dormant. Un spectacle comme Toulouse-Lautrec va ainsi intéresser des lieux très différents, que ce soit une scène nationale, la Maison de la Danse à Lyon, un grand théâtre parisien ou un opéra en région. 

Enfin, et il le répète souvent, son travail de chorégraphe est souvent lié à la peinture, qui le passionne et qu’il pratique, ou inspiré par un peintre, comme Picasso pour les Saltimbanques ou Brueghel pour Giselle : cela décloisonne les arts, jettent des ponts entre eux et cela nourrit la médiation culturelle et les activités pédagogiques qui accompagnent la programmation artistique d’un théâtre public et qui font partie de leur mission.

Tous ces aspects sont des points essentiels que je défends dans mes échanges avec des directeurs et des programmateurs. Il est évident que le nom de Kader Belarbi est aujourd’hui intimement lié au Ballet du Capitole, et son nom suscite l’intérêt et l’attrait des programmateurs. C’est une caution. Pas seulement en tant que chorégraphe d’ailleurs, mais également en tant que directeur. Ses choix de chorégraphes invités et d’entrée au répertoire d’œuvres qui trouvent leur place dans des soirées thématiques habilement conçues font partie aussi de l’identité du Ballet du Capitole. Le prochain programme où Kader a invité 3 chorégraphes d’origine espagnole à s’emparer d’un rideau de scène de Picasso est très attendu : cette soirée est déjà retenue par des théâtres la saison prochaine, alors que la création n’a pas encore eu lieu ! Cela dit que des programmateurs ont suffisamment confiance dans les propositions de Kader pour s’engager sans avoir vu le résultat.

 

Pourriez-vous partager avec nous quelques grands souvenirs liés au rayonnement du Ballet du Capitole ?

Deux souvenirs me viennent immédiatement à l’esprit : deux souvenirs forts, très différents et qui permettent d’appréhender la diversité des réalités des tournées du Ballet du Capitole.

Le premier a été la représentation de Giselle au prestigieux Festival de Grenade dans les jardins de l’Alhambra que nous avons utilisés comme décor naturel. Cela a été une soirée magique dans ce lieu magnifique, un de ces moments de grâce qui vous marque en tant que spectateur, et je me souviens que nos Etoiles ont particulièrement brillé ce soir-là dans le ciel andalou.

L’autre a été le déplacement du Ballet à l’espace Apollo à Mazamet pour donner Liens de table, une pièce courte de Kader pour 4 danseurs et des œuvres de Maguy Marin. Maguy Marin est une des grandes figures de la danse contemporaine en France : le Ballet du Capitole a été l’artisan d’une rencontre entre un public pas forcément familier de ce type de programmation et une artiste exigeante, réputée parfois difficile, plus habituée à être programmée dans les scènes nationales ou les scènes conventionnées dédiées à la danse. Des scolaires et un public très jeune sont venus assister aux répétitions l’après-midi, et le soir, après la représentation, un bord de scène de près d’une heure a eu lieu, permettant des échanges entre le public, Kader et les danseurs! Ce fut un moment très émouvant. Le public était fasciné, curieux, enthousiaste. Il était venu voir le Ballet du Capitole, et il a découvert Maguy Marin. La notion de ballet telle que la défend Kader Belarbi à travers le Ballet de Capitole est un gage de qualité, qui continue à fasciner et à attirer un public très large, de tous âges, de tous milieux : elle permet l’ouverture, les rencontres hors frontières, hors des cloisonnements culturels parfois trop prégnants dans notre pays. C’est une aventure passionnante, riche de défis et d’enjeux pour le futur !
 

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Un immense merci à Antoine de Froberville pour ce riche échange !

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Opéra
18
janvier
2022