Interview - Jordi Savall


Nous avons eu le plaisir d'échanger avec Jordi Savall, personnalité musicale parmi les plus polyvalentes de sa génération. Depuis plus de cinquante ans, il fait connaître au monde des merveilles musicales laissées dans l’oubli. Il découvre et interprète ces musiques anciennes sur sa viole de gambe ou en tant que chef. Découvrez sans plus attendre ses liens avec Toulouse et sa vision du mécénat !

Jordi Savall


Jordi Savall, nous avons eu le plaisir de vous accueillir à Toulouse en novembre dernier avec Le Concert des Nations dans un programme intitulé Louanges à la Vierge Marie. Nous vous retrouverons au Théâtre du Capitole en mai prochain dans un tout autre programme. Pourriez-vous nous présenter ces deux concerts ?

Jordi Savall : Le programme que nous avons proposé en novembre retrace la vie de Marie en musique (les louanges entre les hommes et les anges, la conception de la Vierge, le Magnificat, le Stabat Mater…). Il s’agit d’un programme extrêmement beau, profond et spirituel, d’une grande expressivité baroque qui montre toutes les facettes de Marc-Antoine Charpentier. 

Le programme du printemps (Les Saisons de Joseph Haydn) se prépare dans le cadre d’une académie professionnelle que nous portons depuis 2019 avec de jeunes musiciens venus de toute l’Europe et sélectionnés à la suite d’une audition de très haut niveau. Le groupe est constitué d’une trentaine de chanteurs et d’un orchestre de 60 musiciens composé d’une moitié de jeunes. C’est le label de notre travail : nous intégrons de nouveaux musiciens tout en maintenant une certaine stabilité pour rester au plus haut niveau.
 

Vous veillez donc à favoriser l’insertion professionnelle des jeunes musiciens dans le cadre de ce programme ?

Oui, ces jeunes participent pendant 6 jours à une académie de préparation, ils bénéficient ensuite de Master Class en ligne pour être accompagnés tout au long de leur préparation. Un mois plus tard, nous organisons une académie de perfectionnement à l’issue de laquelle nous enregistrons le programme. Le programme Mendelssohn que nous avons joué en octobre s’est ensuite déplacé à Brême, Paris, Barcelone, Hambourg, Lyon et Athènes. Il s’agit d’un véritable projet européen puisque les musiciens impliqués viennent de 20 pays différents.
 

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre lien avec Toulouse et le Théâtre du Capitole ?

Je suis très souvent venu à Toulouse car c’est une ville qui respire la musique. Je suis très heureux de pouvoir régulièrement présenter nos programmes au Théâtre du Capitole, une salle unique par son histoire et son dynamisme. Depuis 16 ans maintenant, je suis également impliqué dans l'organisation du Festival de Fontfroide avec lequel nous portons de nombreux projets sur le territoire. Je me sens très lié à l’Occitanie car je suis catalan et le Roussillon était un temps catalan.
 

Quand on parle de Toulouse et de musique baroque, il est difficile de ne pas évoquer Les Sacqueboutiers, ensemble baroque soutenu par Aïda et avec lequel vous avez un lien particulier, pouvez-vous nous en parler ?

Daniel Lassalle, Jean-Pierre Canihac et les autres musiciens de l'ensemble sont des membres précieux d’Hespèrion depuis plus de 40 ans. (NDLR : Hespèrion est un ensemble international de musique ancienne et baroque fondé en 1974 par Jordi Savall.) Ce sont des amis très proches et des musiciens extraordinaires que je continue d'inviter à l’occasion de concerts qui nécessitent la présence d’instruments à vent.
 

Dans nos activités de mécénat avec l’Orchestre et l’Opéra, nous nous soucions particulièrement du jeune public. Selon vous, comment initier les jeunes à la musique classique et à la musique ancienne ?

Je pense qu’il y a plusieurs choses à faire. Je suis éditeur depuis 25 ans et les 150 disques que j’ai édités ont touché la jeunesse : Tous les Matins du Monde par exemple a été un véritable succès auprès de ce public. Lorsque nous nous produisons en concert, nous parlons avec le public, nous nous habillons simplement avec une chemise noire ou une chemise indienne. Dans la musique baroque, il y a de la danse, des folies, des improvisations... et cela plaît à la jeunesse ! Quand nous faisons des répétitions générales, nous invitons des écoles. Nous allons aussi dans des quartiers défavorisés, à Bratislava par exemple où nous avons joué pour des jeunes réfugiés ukrainiens.
 

Aïda joue un rôle de mécène pour ce type de projet, que pensez-vous de l'engagement des entreprises en faveur de la musique ? 

Cela me semble essentiel. Au 18ème siècle, le mécénat était réalisé par l’Église et par quelques philanthropes qui avaient de l’argent. Cette ressource était essentielle pour faire vivre les artistes de l'époque. Aujourd'hui, nous avons besoin de l’aide des entreprises et des familles qui ont les moyens car la culture est la base de cohésion d’un pays. Sans culture, il n’y a pas de progrès. Sans musique, sans littérature, sans cinéma, sans théâtre, il n’y a pas d'évolution, la société stagne et devient de plus en plus inhumaine. La culture permet aux individus de penser et de s'émanciper.

Le poète espagnol García Lorca a dit lors d'une conférence : « Un homme qui a faim demande du pain. Moi, si j'avais faim, je demanderais un demi-pain et un livre car avec un livre je pourrais apprendre des choses qui me permettraient de gagner mon pain. » C’est très important d’apprendre pour se développer intellectuellement et professionnellement. La culture doit être accessible à tout le monde et la musique est fondamentale pour la sensibilité et l’humanité.

Un grand merci à Jordi Savall pour cet échange passionnant !

Jordi Savall et Vincent Lauga

 

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07
février
2024