Concert Aïda du 4 mai
PROGRAMME
Au programme de ce grand concert symphonique : deux chefs-d'œuvre de deux compositeurs au soir de leur existence, en quête d'une paix intérieure, tournés vers le ciel et vers la riche histoire qui les précède : les Quatre derniers lieder de Strauss et la Neuvième symphonie de Bruckner. À 24 ans, le chef prodige Tarmo Peltokoski maîtrise déjà ce répertoire grandiose qu'il partage avec l'Orchestre national du Capitole et la soprano Chen Reiss.
Richard Strauss
Les Quatre derniers lieder
I - Frühling (« Printemps ») - Allegretto II - September (« Septembre ») - Andante III - Beim Schlafengehen (« L'heure du sommeil ») - Andante IV - Im Abendrot (« Au crépuscule ») - Andante
Durée : 22 min
Anton Bruckner
Symphonie n°9 en ré mineur, WAB 109
I - Feierlich, misterioso (« solennel, mystérieux ») II - Scherzo - Bewegt, lebhaft (« agité, vif ») – Trio. Schnell (« rapide ») III - Adagio : Langsam, feierlich (« lent, solennel »)
Durée : 57 min
DISTRIBUTION
Chen Reiss, soprano
Tarmo Peltokoski, direction
BIOGRAPHIES
Tarmo Peltokoski
Le chef d'orchestre finlandais Tarmo Peltokoski, 24 ans, prendra ses fonctions de directeur musical désigné de l'Orchestre national du Capitole en 2024-25. Il est considéré comme un des interprètes les plus prodigieux et prometteurs de la scène internationale. « Un génie » pour Diapason ; « un charisme naturel qui fait que nul ne peut détacher ses yeux du podium » selon Le Monde. Le Figaro écrit pour sa part : « Il y a quelque chose de singulier à voir un chef si jeune être si libre et magnétique face à l’orchestre, tout en sachant exactement ce qu’il veut. […] Les Toulousains ont de la chance. »
Tarmo Peltokoski exerce aussi comme chef invité principal de la Philharmonie de chambre allemande de Brême (Deutsche Kammerphilharmonie Bremen), depuis janvier 2022 (premier chef à occuper ce poste en plus de 40 ans), comme directeur musical et artistique de l'Orchestre symphonique national de Lettonie depuis la saison 2022-23, et comme chef invité principal de l'Orchestre philharmonique de Rotterdam depuis 2023.
Il s'est distingué à l'opéra à l'âge de 22 ans, en montant son premier Ring de Wagner, son compositeur préféré, au festival Bel Canto d'Eurajoki, en Finlande.
Lors de la saison 2022-23, il a fait des débuts très réussis avec le hr-Sinfonieorchester de Francfort et l'Orchestre philharmonique de Radio France. Il a par ailleurs dirigé le Philharmonique de Hong Kong, l'Orchestre symphonique de Toronto, le RSB Berlin, le Hallé Orchestra, l'Orchestre du Konzerthaus Berlin, l'Orchestre symphonique de Düsseldorf ainsi que le Philharmonique de Los Angeles dans la salle du Hollywood Bowl. Cette même saison, il a de nouveau dirigé des opéras de Wagner, Tristan und Isolde, une nouvelle fois au Festival Bel Canto d'Eurajoki, et Siegfried avec l’Orchestre symphonique national de Lettonie, à Riga.
Sa saison 2023-24 sera marquée par des débuts avec l'Orchestre philharmonique de la Scala de Milan, l'Orchestre de l'Académie nationale Sainte-Cécile de Rome, le Philharmonia Zurich, le Philharmonique d'Oslo, le National Symphony Orchestra à Washington et une première invitation au Festival de Pentecôte de Baden-Baden, aux côtés de l'Orchestre symphonique de la SWR. Tarmo Peltokoski sera par ailleurs engagé dans une tournée en Allemagne avec la Deutsche Kammerphilharmonie Bremen. Sur la scène lyrique, il dirigera Don Giovanni de Mozart, à l'Opéra national de Finlande, et il retrouvera Wagner, à Riga, dans le Götterdämmerung (Le Crépuscule des dieux).
Tarmo Peltokoski a travaillé ou s'apprête à travailler avec des solistes tels que Yuja Wang, Asmik Grigorian, Matthias Goerne, Jan Lisiecki, Julia Fischer, Golda Schultz, Martin Fröst, Janine Jansen, Leonidas Kavakos, Chen Reiss et Sol Gabetta.
Son apprentissage de chef d'orchestre remonte à ses 14 ans, d'abord dispensé par le professeur émérite Jorma Panula, puis par Sakari Oramo à l'Académie Sibelius et par Hannu Lintu, Jukka-Pekka Saraste et Esa-Pekka Salonen.
Également pianiste reconnu, Tarmo Peltokoski a étudié le piano à l'Académie Sibelius avec Antti Hotti, obtenant de nombreux prix et des contrats de soliste avec tous les grands orchestres finlandais. En outre, il a étudié la composition et l'arrangement, et porte un intérêt à la comédie musicale et à l'improvisation.
En 2022, il a reçu le Lotto Prize au Festival de Rheingau Musik et l'OPUS Klassik l'année suivante.
Tarmo Peltokoski a signé en 2023 un contrat d'artiste exclusif avec Deutsche Grammophon. Son premier enregistrement pour le prestigieux label sera un album « Tout Mozart » avec la Deutsche Kammerphilharmonie Bremen.
Chen Reiss
Dotée d'une « voix d'une clarté et d'un éclat d'argent » (Bachtrack), la soprano israélienne Chen Reiss se produit sur les plus grandes scènes d'opéra, dans les plus prestigieux festivals et hauts lieux de la musique, auprès d'artistes et d'orchestres de renommée internationale.
Au cours de la saison 2023-24, elle sera artiste en résidence à l'Orchestre philharmonique de Rotterdam. Elle sera également la soliste du concert de Noël de l'Orchestre du Concertgebouw d'Amsterdam sous la direction de Klaus Mäkelä et elle fera ses débuts dans la Missa Solemnis de Beethoven avec la Wiener Akademie au Festival de Pâques à Aix en Provence.
Ces dernières saisons, Chen Reiss s'est produite dans la Deuxième symphonie de Mahler avec l'Orchestre philharmonique de Munich placé sous la direction de Gustavo Dudamel, dans le Requiem de Mozart avec le Konzerthausorchester Berlin et le chef Christoph Eschenbach, dans les Sept lieder de jeunesse de Berg avec le SWR Symphonieorchester Stuttgart et Vasily Petrenko et dans Un Requiem allemand de Brahms avec l’Académie nationale Sainte-Sicile de Rome et Antonio Pappano. Elle a également été au programme des Quatre derniers lieder de Strauss, du Stabat Mater de Dvořák et Das Klagende Lied de Mahler qu'elle a chanté au Gewandhaus de Leipzig.
Parmi ses enregistrements récents figurent la Quatrième symphonie de Mahler avec la Philharmonie tchèque et Semyon Bychkov (Pentatone) et Vom ewigen Leben de Schreker avec Christoph Eschenbach et le Konzerthausorchester Berlin (Deutsche Grammophon).
Son répertoire d'opéra comprend les rôles-titres de La Calisto de Cavalli (La Scala de Milan) et de La Petite renarde rusée de Janáček, mais aussi les rôles de Gilda (Rigoletto de Verdi), Adina (L'Elixir d'amour de Donizetti), Aennchen (Der Freischütz de Weber), Sophie (Le Chevalier à la rose de Strauss), Zdenka (Arabella de Strauss) et Ginevra (Ariodante de Haendel).
Chen Reiss, qui a commencé sa carrière comme membre de la troupe lyrique de l'Opéra d'État de Bavière et artiste résidente de l'Opéra d'État de Vienne, est aujourd'hui professeur invité à la Hochschule für Musik und Theater de Munich et donne régulièrement des masterclasses. En 2022, elle fonde l'association Sourire Music, qui se consacre au soutien et à la promotion de jeunes talents.
PRÉSENTATION DES ŒUVRES
RICHARD STRAUSS (1864 - 1949)
Les Quatre derniers lieder (1948)
Il se couche, le soleil, rouge feu, sur le monde de la musique romantique et d'un de ses derniers gardiens, Richard Strauss. Son ami et éditeur Ernst Roth trouve le vieux compositeur abattu, dans une humeur « fin du monde ». Tout se meurt autour de lui. Ses héros sortis des contes, ses idéaux, un immense roman de la musique ouvert depuis Bach... En cette année 1948, les villes et les théâtres d'Allemagne sont une montagne de cendres. Le vieux Strauss quitte alors sa résidence de Bavière et se réfugie en Suisse, sur le lac Léman ou dans les Grisons, pour prendre les eaux et reprendre la plume. Il va rédiger son testament.
Au soir de sa carrière, il ressuscite un genre romantique par excellence, le lied. Il retourne à la voix – celle de sa femme Pauline, sa chanteuse de cœur, à qui il rend avec ces lieder un hommage intime, et celle de la wagnérienne Kirsten Flagstad, qu'il rêve de voir interpréter sa création, et qui exaucera ce souhait le 22 mai 1950, à Londres. Strauss se replonge aussi dans l'âme des beaux textes. Son inspiration lui vient du prix Nobel de littérature Hermann Hesse, son contemporain (pour trois de ses lieder, Printemps, Septembre, L'heure du sommeil), et d'un romantique du XIXe siècle, Joseph von Eichendorff (pour le poème Im Abendrot, « Dans le soleil couchant »).
Ces vers racontent un couple dans les ultimes rougeoiements du jour et de la vie, qui contemple le vol des alouettes et s'interroge : « Serait-ce déjà la mort ? ». Le compositeur propose de placer en premier ce chant, le plus déchirant des quatre, afin de terminer sur une note moins crépusculaire, préférant conclure dans le rêve, sur « L'heure du sommeil ». Mais son éditeur Roth modifie l'ordre pour, au contraire, finir avec Im Abendrot, suivant un crescendo émotionnel implacable. Ce cycle de quatre chants devient, dès lors, l'adieu d'un compositeur qui s'éteindra en Bavière à l'âge de 85 ans, huit mois avant la première à Londres de ses Quatre derniers lieder.
Posthume, ce cycle de chants est puissamment nostalgique et incroyablement anachronique, « en retard » d'un bon demi-siècle, au point que l'œuvre n'apparaît plus vieillie : elle est hors du temps. Elle rallume les feux éteints de l'époque de Schubert, le grand chantre des lieder. Elle essaie de sauver ce qui peut l'être des Lumières et du Romantisme allemand. Strauss, qui était considéré comme un subversif dans sa jeunesse s'est fermé à toute évolution du langage, conservateur jusqu'à l'émail des os, « néo-classique » ou « post-romantique », tout sauf un moderne. Ce qui s'écrit depuis trente ans glisse sur lui comme de l'eau, Stravinski, la seconde école de Vienne – Schoenberg, Berg, Webern –, le sérialisme... C'est un combat perdu d'avance mais Strauss le mène avec le panache sublime et pathétique de Don Quichotte, le héros d'un de ses poèmes symphoniques.
Avec ses Quatre derniers lieder, il se bat dans une aspiration noble, pour un reste d'honneur et une dernière gorgée de nostalgie, mais il ne rumine plus ses défaites, artistiques ou politiques – il avait cru au régime hitlérien comme garant de la grande tradition qu'il aimait tant, il a donc servi l'infâme, l'a accompagné, loin d'être un fanatique, mais apportant tout de même une caution, qui lui vaudra un procès en dénazification, gagné. Personnage complexe, révolutionnaire et régressif, décadent et éthéré, Strauss embrasse maintenant son destin et celui du monde. Il y a dans ses lieder une acceptation et un apaisement. Don Quichotte s'endort en paix.
ANTON BRUCKNER (1824-1896)
Symphonie n°9 en ré mineur, WAB 109 (1896)
Arrivé au terme de son existence, Anton Bruckner caressa soudain l'idée d'écrire un opéra. L'organiste de Saint-Florian, près de Linz, qui composait ses symphonies comme des messes, voulait laisser derrière lui un ouvrage « romantique, religieux, mystérieux, et surtout épuré de toutes les impuretés ». Il songeait au Lohengrin de Wagner. Puis, il renonça et il se mit en quête d'une Neuvième symphonie. La symphonie de sa mort : le chiffre a précipité la fin de bien des compositeurs, Beethoven en premier lieu. Bruckner le savait. Quand il se rendit compte, d'ailleurs, que sa partition était en ré mineur comme la Neuvième de Beethoven, un acte involontaire mais peut-être une inspiration divine, il s'en trouva embarrassé.
Bruckner laisse des ébauches à partir de 1887, alors qu'il va sur ses soixante-trois ans, puis il s'interrompt, reprend en 1891 et continuera de remplir les portées jusqu'au matin de sa mort en 1896. Entre-temps, il affrontait une santé délétère, une insuffisance rénale, des problèmes cardiaques, des difficultés respiratoires, et de surcroît une dépression nerveuse, enfin des épisodes comateux, quand il était alité au château du Belvédère, à Vienne, où l'empereur lui avait réservé le pavillon de garde. Il se levait, suspendait quelques notes, puis retombait dans un très lourd sommeil.
« Dem lieben Gott » - « À Dieu adoré », inscrit-il en dédicace. Bruckner rédige trois mouvements, esquisse le quatrième et, pressentant qu'il ne pourrait pas achever l'oeuvre, propose qu'on donne son Te Deum pour conclure sa Neuvième symphonie. La première eut lieu en 1903 à Vienne, sept ans après sa mort. Mais elle est alors détournée, falsifiée par certains de ses élèves, qui se sont engouffrés dans les hésitations du texte, pour réécrire comme bon leur semblait. Il existe donc plusieurs versions, les plus récentes se rapprochant le mieux des intentions initiales. Quelques-unes se proposent de recréer le mouvement final, d'après les petits papiers retrouvés dans les archives.
Cette Neuvième est un monument qui marque la fin de la musique tonale. Elle en pose la pierre ultime, quand Bach avait planté la première borne avec la Messe en si mineur, entre 1724 et 1749. Bruckner fait donc revivre les grands compositeurs qu'il vénère : Haendel et son Alleluia (cité dans le Trio du deuxième mouvement), Mozart pour l'apparition de la statue de Don Giovanni (toujours dans le deuxième mouvement, au moment de l'entame, effrayante), Beethoven pour la tonalité en ré mineur, Mendelssohn et son univers des fées (pour contrebalancer la terreur du Don Giovanni) et ses propres symphonies à lui, Bruckner, qu'il était en train de réviser tout en élaborant sa Neuvième.
La magie de l'œuvre donne parfois l'impression d'écouter du Mahler, du Schoenberg, du Chostakovitch, voire Le Sacre du printemps – le martèlement de l'orchestre dans le deuxième mouvement ! –, mais c'est pourtant du pur et authentique Bruckner. Au sommet de son culte, contemplant le passé mais capable de le transcender, de dériver parfois vers l'abstraction, de refermer des portes autant qu'il en entrouvre, le compositeur concède le chant du cygne du romantisme... Mais cette fin n'est que le commencement de questions pour les générations futures. Cette Neuvième fit couler un fleuve d'encre : que voulait dire Bruckner ? Le premier mouvement est parfois décrit comme le jaillissement de la Création, née du vide, dans le murmure des cordes graves. Le deuxième est un retour à l'abîme, peut-être à l'Enfer. Le troisième ramène la paix. Mais Bruckner ne se consume pas dans le même adieu à la vie serein que Richard Strauss un demi-siècle plus tard : sa foi chrétienne semble mise à l'épreuve, la célébration de Dieu nous dit aussi son absence et la solitude de l'homme, le vertige des pages noircies par Bach et Mozart appelle les pages blanches de ce qui va succéder à la musique classique et romantique, et le dépasser. Cette porte de sortie d'une histoire monumentale est aussi une fabuleuse porte d'entrée.
Pierre Carrey
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